Histoire et caractéristiques du film noir aux États-Unis

Au cours de l'été 1946, plusieurs films produits aux États-Unis pendant la guerre sont projetés dans les salles parisiennes :

  • Le Faucon maltais de John Huston (The Maltese Falcon, 1941),
  • Laura d'Otto Preminger (Laura, 1944), 
  • La Femme au portrait de Fritz Lang (The Woman in the Window, 1944),
  • Assurance sur la mort de Billy Wilder (Double Indemnity, 1944),
  • Adieu ma jolie / Le crime vient à la fin d'Edward Dmytryk (Murder, my Sweet, 1944).

Ils ne laissent pas indifférente la critique française qui oscille entre rejet et fascination. Pour Nino Franck, un critique de l'époque, il s'agit d'un nouveau genre, distinct des films policiers traditionnels dans la mesure où ces cinq films se concentrent avant tout sur la psychologie du criminel.

L'adjectif noir apparaît trois mois plus tard pour qualifier ces films états-uniens, sous la plume d'un autre critique français, Jean-Pierre Chartier. Dans son article intitulé « Les Américains aussi font des films noirs », ce critique analyse les principales caractéristiques que ces films ont en commun : le recours au récit à la première personne, une atmosphère sombre et désespérée, le thème de la fatalité et de l'attirance sexuelle.

Jean-Pierre Chartier déteste le pessimisme foncier de ces films à petits budgets qui ne sont pas à l'image du grand cinéma hollywoodien. En utilisant l'adjectif « noir », il établit un lien entre ces films d'un nouveau genre réalisés aux états-Unis et certains films français de l'époque du Front populaire et de l'immédiate avant-guerre, qualifiés de « noirs » par certains critiques politiquement de droite, parmi lesquels Le Quai des brumes de Marcel Carné (1938). On parle pour cet âge d'or du cinéma français de « réalisme poétique » (dans un univers citadin et nocturne, les héros ordinaires sont victimes de la société ou de passions malheureuses et leur destin est marqué par la fatalité). Mais Jean-Pierre Chartier précise qu'à la différence des personnages du cinéma français, victimes de la société dont le destin suscite la compassion du public, aux États-Unis les personnages des films noirs sont des « monstres », des « criminels » et des « malades que rien n'excuse ». 

En 1955, Raymond Borde et Étienne Chaumeton rédigent la première grande étude sur le film noir aux États-Unis, qui l'inscrit dans l'histoire du cinéma : Panorama du film noir américain. Ils répertorient un certain nombre de critères de définition en le comparant au film policier classique. À l'instar du film policier, le film noir se caractérise par une intrigue criminelle, un décor réaliste, une violence fortement présente et un moment final de forte tension dramatique comme une course-poursuite entre les gangsters et les policiers.

Mais le film noir présente quelques singularités fortes qui déstabilisent le public. Le récit est mené à la première personne : ce qui rend le film noir si particulier, c'est le point de vue adopté (focalisation interne) car il nous place du côté du criminel dont il adopte le regard. Les motivations des criminels sont plus importantes que la résolution de l'énigme. De plus, il repose sur l'emploi de nombreux flashbacks (retour en arrière) qui rend parfois difficile la compréhension de l'intrigue, souvent complexe. Ses personnages sont ambivalents, partagés entre le bien et le mal et leurs motivations sont obscures. Ils ne sont pas ce qu'ils paraissent être : dans Assurance pour la mort de Billy Wilder (Double Indemnity, 1944), le meurtrier (joué par Fred MacMurray) est un banal courtier en assurance. Ce genre comprend aussi un certain nombre de personnages stéréotypés comme la femme fatale qui séduit les hommes pour les conduire au meurtre, le détective privé, solitaire et indépendant, souvent en proie au doute, mais aussi le héros noir, vulnérable, le « loser », victime de ses faiblesses, qui agit selon ses rêves et ses passions. 

Sur le plan moral, le film noir, contrairement au film policier, montre une certaine forme de compréhension ou de compassion à l'égard du criminel car sa violence est le signe d'une révolte individuelle contre les lois économiques, sociales ou politiques de son époque. Le film noir serait en quelque sorte la synthèse de trois genres cinématographiques très populaires : le film de gangsters (The Public Enemy, William A. Wellman, 1931), le film d'horreur des années 1930 et le film policier. 

Sur le plan visuel, les films noirs se caractérisent par :

  • une image sombre avec un usage intensif de la semi-obscurité, créant des contrastes violents ;
  • des cadrages déstabilisants ;
  • l'utilisation de la musique comme élément dramatique qui se superpose au rythme du récit ;
  • un montage brut des plans sans transitions ;
  • une grande profondeur de champ (cf. la scène des miroirs de The Lady from Shanghai, Orson Welles, 1947)

Source : https://lesmanuelslibres.region-academique-idf.fr
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